Alors que la commémoration de l’indépendance de l’Algérie ravive la mémoire des traumas et suscite des résurgences coloniales, j’ai souhaité inviter Florian Gaité et son exposition Quelque part entre le silence et les parlers présentée à la maison des arts de Malakoff en 2021. Pour ICE, il a réuni les œuvres de Louisa Babari, Adel Bentounsi, Walid Bouchouchi, Fatima Chafaa, Mounir Gouri, Sabrina Idiri Chemloul et Amina Menia. Scène franco-algérienne que rejoindront Jérémie Nicolas, avec son installation Haraka sur les silences des harkis et David Wampach et Dalila Khatir, qui nous entraîneront dans une transe jubilatoire avec leur spectacle Algeria Alegria.
Toujours à l’International, relié à une autre mer et à d’autres luttes, ICE accueillera à Saint-Jean-du-Doigt la chorégraphe franco-chilienne Marcela Santander Corvalán qui revisitera des figures de la culture pré-colombienne et Deen Atger qui traversera la Manche pour partager avec nous l’histoire de la scène underground londonienne qui s’invente avec lui à Ugly Duck. Leurs performances s’inscriront dans un « Autoportrait aux transmutations » qui commencera avec l’inauguration de l'installation Longue-vue de Chloé Dugit-Gros, nous invitant à habiter le paysage.
Pour fêter le lien avec la nouvelle promotion de l’école du TNB associée à ICE pour 3 ans, j’ai voulu clôturer cette édition par un « Autoportrait aux acteurices » réunissant deux performances de Naëlle Dariya et de Pierre Maillet explorant les ambivalences et la nécessité du désir de jouer.
Je remercie toustes les artistes et collaborateurices pour leur confiance et leur engagement, ainsi que toutes les personnes et institutions qui soutiennent cette aventure : la DRAC, la Région Bretagne, Morlaix Communauté, l'Onda, le département du Finistère, les villes de Morlaix, de Plougasnou et de Saint-Jean-du-Doigt, le SEW, le Quartz et le TNB.
Cette exposition ravive le souvenir d’un voyage en Algérie, un pays dont la complexité se traduit notamment dans le foisonnement des langues qu’on y parle (berbères, arabes, européennes…). Le silence et les parlers représentent les deux pôles à partir desquels interroger la langue, celle-ci pouvant autant se heurter à des situations de mécompréhension, de pudeur, de censure, d’inhibition ou de secret, que traduire l’inventivité des Algérien·nes, leur goût de la parole, de la tradition orale, du chant et de l’écriture. Constituant un art en soi, le nœud langagier se présente ici comme le lieu de continuelles métamorphoses et une source d’inspiration infinie pour les artistes.
Avec les oeuvres de : Louisa Babari, Adel Bentousi, Walid Bouchouchi, Fatima Chafaa,
Mounir Gouri, Sabrina Idiri Chemloul & Amina Menia.
© Abel Bentounsi
Si l’archive orale du trauma colonial algérien révèle le ton de la parole, elle donne aussi à entendre les silences, qui parfois déchirent un témoignage. Pensée pour un dispositif d’occlusion constitué de feuilles d’acier, cette installation rend sensible un moment particulier de la voix, celui où l’interruption vocale coïncide avec une détonation de l’affect. Une question est arrêtée, puis les parois métalliques sont excitées par une musique faite à partir du silence qu’a généré la demande. Redoublé de résonances incidentes, le dispositif laisse découvrir les modalités d’une feinte vocale, allant du râle au cri, et pouvant agir comme une silenciation de la source, alors inaudible en tant que telle.
Création : Jérémie Nicolas
1. Haraka, mouvement en arabe, donne « harki », un ancien supplétif algérien durant la guerre d’indépendance.
© Makoto Friedmann
La création ALGERIA ALEGRIA s'incarne dans la relation au plateau entre Dalila Khatir et David Wampach. Le chorégraphe puise matière à une confrontation émotionnelle et festive, dans la connaissance intime des origines algériennes partagées avec sa complice. De la juxtaposition du mot ALGERIA, qui évoque bien sûr l’Algérie, et de son anagramme ALEGRIA qui signifie la joie, l’allégresse et la jubilation en espagnol, surgit une incantation : de la joie est contenue dans le mot ALGERIA.
« Au fil de la pièce, […] tout se met à virevolter et tourner à plein régime jusqu’à l’apothéose. Wampach et Khatir se jettent des sorts l’un et l’autre, par le truchement d’une oralité captivante, qui agit comme un aimant. »
Géraldine Pingault
Interprétation : Dalila Khatir et David Wampach
© Laurent Paillier
Installée sur un chemin de promenade en face de la mer, Longue-vue est une sculpture pratiquable qui s'offre aux visiteur·euses de passage et aux habitant·es durant un mois. Sa forme cadre le paysage, comme un instrument pour mieux voir et pour mieux entendre. On peut en profiter seul·e ou accompagné·e, venir s’y reposer ou se donner rendez-vous pour observer le paysage, le coucher du soleil et écouter le son des oiseaux. Elle est constituée de bois et le dessin sur la paroi intérieure est réalisé en goudron.
Installation en bois et goudron: Chloé Dugit-Gros
© Chloé Dugit-Gros
Je suis accroupie. Je suis en bas, je vois les choses d’en-bas.
Les cheveux, les seins, le sexe, les jambes et le visage construisent cette danse « d’en-bas ». Je plonge dans cette posture, proche du sol, pour visiter la mémoire des gestes qui la constituent. Une posture millénaire, une posture d’attente, de travail, de magie ; une posture obscène, parfois difficile, inconfortable, dont on pourrait croire qu’elle empêche le mouvement. Je ne peux pas m’écrouler, je ne peux pas m’élancer, mes genoux sont pliés, je marche, je saute, je danse.
Chorégraphie et interprétation : Marcela Santander Corvalan
© Alain Monot
« Sortir du genre binaire a été pour moi comme une traversée intergalactique. »
Traversé·es prend l’aspect d’une lecture / performance, d’un dialogue intérieur et d’une réflexion autour de la traversée des genres. Traversée mise en parallèle avec la traversée des esthétiques artistiques, du langage et des océans. On y retrouve la quête d'une hybridité de forme et de langage résonant avec l’hybridité personnelle du narrateur. Deen invitera les spectateur·ices à partager un moment intime au sein d’un espace mental transversal. Deen aura effectué en amont un trajet onirique et écologique, une résidence-performance de quelques heures dans le bateau de Plymouth à Roscoff suivi d’un temps de création à Saint-Jean-du-Doigt.
Écrit et performé par Deen Atger.
© Yasmine Akim
Abonnée aux 42e rôles dans les meilleurs films du cinéma français, Naëlle est aujourd’hui la seule comédienne au monde qui parle plus dans la presse que sur un plateau. Pour y remédier, elle a écrit un seul·e-en-scène. La Jean-Marie Bigard version transpédégouine présente une performance éminemment politique qui mêle chansons populaires, satire et poésie.
Avec un regard acerbe, elle évoque sa carrière d’actrice qui ne décolle pas, et étudie les stratagèmes pour la booster : devenir influenceuse Instagram qui n’influence qu’elle-même, se faire passer pour une militante de gauche, ou bien lancer une cagnotte leetchi.
Écrit et mis en scène par Naëlle Dariya
© Smith
Ça tourne !
On pourrait résumer la chose ainsi : comment un enfant qui grandit dans une petite ville de province et qui voit Tootsie à l'âge de 12 ans devient acteur et comment même, il ne retrouve la vérité de son existence que là, dans le monde des images et des simulacres. Ce qui se raconte alors est comme un roman d'apprentissage, celui que toute enfance fabrique pour sentir que s'ouvre devant elle un monde plus habitable ou plus grand ou plus intense. Ce monde, pour beaucoup d'entre nous, s'est appelé « cinéma ».
Et nous, quels sont les films de nos vies ?
Texte : Tanguy Viel. Mise en scène : Émilie Capliez avec Pierre Maillet.
© Jean-Louis Fernandez
Le workshop nous invite à nous consacrer à la position accroupie. À partir de l’observation de sculptures érotiques pré-colombiennes, nous nous plongerons dans leurs imaginaires pour en traverser les gestes et les transformer afin d’en créer des danses.
Avec Marcela Santander Corvalan
© Alain Monot
Après un bref échange sur ce que peut être le chamanisme aujourd’hui et une plongée progressive en état de conscience chamanique à travers chants, danses et pratique du tambour et du hochet, les participant·es seront invité·es à faire un voyage à la rencontre de leur animal de pouvoir. La séance finira par un débriefing permettant à chacun·e de revenir en état de conscience habituel. À celleux qui ont déjà rencontré leur animal de pouvoir, un autre voyage sera proposé : iels sont donc les bienvenu·es pour approfondir leur pratique du chamanisme.
Avec Philippe Léon Bleton, Olier Cochard et Nathalie Laboureur.
© Makoto Friedmann
